Argelès sur Mort…

On a découvert Maurice Gouiran, et son roman noir à tendance populaire et historique, il y a quelques mois seulement et un peu au hasard des rayons d’une librairie où son Train bleu, train noir nous avait fait de l’oeil.

Sa dernière livraison nous a été gracieusement envoyée par Jimmy des Editions Jigal que nous remercions très cordialement .

Gouiran continue donc ici dans une veine qui nous semble lui être caractéristique avec ce Franco est mort jeudi , un roman qui ne manque pas d’ambition et qui regorge de moults détails historiques et du code polardeux.

Début des années 2000. Marseille. Manu, un homme d’une petite cinquantaine d’années, traîne sa misère. Il vient de passer six mois en prison après être tombé pour une minable petite histoire de trafic organisé par son employeur temporaire, le genre de personnage qui profite de la précarité ambiante des paumés de la crise. Manu ne peut guère compter sur un quelconque réconfort familial: sa femme l’a quitté pour aller vivre avec un type dont on comprendra très vite qu’il est vil et lâche, son père, âgé et à moitié grabataire, ne consacre ses dernières forces à cracher sa haine ou son mépris à la tronche d’un monde auquel il ne trouve guère d’intérêt, surtout depuis qu’Elisa, sa femme d’origine espagnole, est morte. Quant à Patrice, fils prodigue de Manu, il n’est qu’un bon à rien qui fricote avec la petite pègre du milieu de la drogue des quartiers nord-marseillais. Pas grand chose au rayon des espoirs pour l’ex-taulard, qui tue le temps et le peu d’argent qu’il possède dans un café de l’Estaque, un quartier populaire de la cité phocéenne. Cependant, un jour, une lettre arrivant d’Espagne et écrite dans un français parfait va le réveiller de sa léthargie: C’est une certaine Paola, une cousine très éloignée et dont il n’a jamais entendu qui lui écrit pour lui affirmer que, dans le cadre de la grande entreprise de réconciliation nationale effectuée en Espagne, le corps de Ramon Espola, le grand père de Manu et grand héros républicain, est sur le point d’être exhumé d’un charnier où il est supposé être enterré. Une surprise pour Manu qui réalise qu’il ne sait rien finalement de cette mère défunte il y a dix ans, à commencer le fait qu’elle était la fille d’un personnage important de l’anti-franquisme. La curiosité piquée au vif par la missive de cette cousine dont il ignorait tout jusque là, à commencer par l’existence, Manu va alors essayer de renouer les fils d’une histoire qui est, somme toute, autant la sienne que celle de sa génitrice. Il ne dispose cependant que de peu d’indices et son père ne lui donnera que quatre noms; quatre noms de compagnons d’infortune d’une Elisa encore enfant dans les années 30 et qui ont, comme elle et sa propre mère, quitté l’Espagne au moment de la victoire des fachos espagnols pour croupir dans les camps prévus par notre République dans les Pyrénées orientales. Un épisode douloureux connue sous le nom de « Retirada ».

Parallèlement à ses recherches quasi-généalogiques, Manu est confronté à une difficulté de taille: Patrice doit une somme faramineuse à un vendeur de drogue qui ne plaisante pas vraiment avec les mauvais payeurs. Il y va donc de la vie du gamin et l’affaire paraît bien mal engagée jusqu’au moment où une connaissance le mette en contact avec Clovis, un ex-journaliste retiré sur les hauteurs dominant Marseille où il vit loin du tumulte de la vie urbaine. Pas véritablement un ermite, Clovis, juste un type qui a besoin de se mettre au vert de temps à autre. Après une discussion autour d’une bouteille, l’affaire est entendue: Clovis cachera le fils de Manu jusqu’à ce que les choses se tassent…

Evidemment, puisque Maurice Gouiran écrit aussi un polar, les complications vont se faire jour et les choses ne se tasseront pas. Le lecteur est alors embarqué dans un écheveau romanesque où vont se croiser les intrigues, les lieux et les époques.

On va naviguer entre Marseille et Madrid, via Argelès, entre aujourd’hui et hier, entre l’histoire d’un gamin paumé que l’on va chercher à tirer des griffes d’un caïd de la came par tous les moyens et les fantômes de l’Espagne ou d’une France à l’attitude peu glorieuse avec les réfugiés espagnols. En outre, ce sont les déchirures, présentes ou actuelles, de familles, française ou espagnole, minées ici par la misère sociale, là par un gouffre idéologique et politique impossible à combler que le lecteur va côtoyer tout au long des chapitres de Franco est mort jeudi.

C’est, sur ce point, à une certaine forme de roman foisonnant, complexe et visant, non pas à l’exhaustivité mais à une tentative de multiplication des vues ou des propos que Gouiran nous semble s’être attelé. On citera pour exemple les témoignages des anciens compagnons de la Retirada d’Elisa; Sergi est un ancien du POUM, branche un peu rapidement qualifiée de trotskiste, Manoel était membre de la Colonne Durruti, une composante de la CNT, anarchiste –et dont certains participeront plus tard à la libération de Paris au sein de la 2ème DB de Leclerc -, Julian, lui, est resté fidèle au Parti Communiste Espagnol, des Staliniens pur jus. Ainsi, on aura la version des faits de chacun, leur vision des choses, leur interprétation à travers le récit de cette première guerre anti-fasciste qu’ils feront à un Manu dont la culture historique autant que politique frise le degré zéro de la connaissance.

Si, et cela n’étonnera personne, on est plus enclin sur ce blog à prendre parti pour les anars ou les marxistes du POUM, à détester les Staliniens, qui auront préféré sacrifier la cause républicaine par fidélité, ou subordination servile, à Joseph le Moustachu, on reconnaît également que tous ces battus de la Guerre d’Espagne méritent sinon le respect, en tout cas un hommage sincère. Et Maurice Gouiran leur en rend un bien magnifique en s’appuyant sur un travail de recherches et de lecture préalables phénoménale.

Concernant le côté noir de cette oeuvre protéiforme, on découvrira que les héros ne sont peut-être pas morts comme, et où, on le pensait, que les franquistes d’hier en cachent certainement des contemporains plus inquiétants, que derrière l’idéologie se dissimule souvent la cupidité. Le lecteur sera donc servi comme il se doit en péripéties et rebondissements en tous genres.

L’écriture de Gouiran mériterait certainement un peu plus de vitalité, de punch et gagnerait à s’éloigner d’une forme qui, loin d’être désagréable, s’inscrit dans un classicisme maîtrisée mais quelque peu « feuilletonesque ». Si certains chapitres inutiles selon nous (mais on est dans une série dont l’un des personnages récurrents est Clovis Narigou) à la compréhension du propos étaient absents, ou si on n’avait pas parfois l’impression que le romancier flirte avec la ligne blanche du didactisme, on tiendrait certainement là non plus un bon roman dans lequel on progresse avec plaisir mais un excellent que l’on dévore et qui nous enthousiasme sans restriction.

Mais, comme pour le précédent volume de cet auteur, on ne sera pas trop négatif tant on a aimé suivre les pérégrinations de ces personnages humains et ravivé nos modestes connaissances sur ce que l’on considère parfois, et avec grande raison d’ailleurs, comme la répétition de la grande boucherie de 39.

Pas étonnant alors, et c’est plutôt une excellente nouvelle pour l’enseignant que je suis (on a tous ses mauvais côtés) que Franco est mort jeudi soit en lice pour le prix Michel-Lebrun des lycéens 2011. A lire donc. Qu’on soit lycéen ou pas.

Franco est mort jeudi de Maurice Gouiran, Jigal Polar (2010), 315 pages + bibliographie

~ par cynic63 sur 21/11/2010.

4 Réponses to “Argelès sur Mort…”

  1. Bonsoir cher ami ! Et bien ca valait vraiment le coup de patienter pour lire cet excellent billet ! je vois maintenant où se situent les quelques réserves que tu m’as dit émettre à l’égard de ce roman lors d’un post que tu m’avais laissé, et je les comprends parfaitement pour un lecteur qui a déjà parcouru une partie de l’œuvre de Maurice Gouiran. Moi c’était la première expérience que j’avais de lui, donc la découverte fut particulièrement agréable.J’ai beaucoup aimé, toi un peu moins, surtout parce que tu avais particulièrement apprécié « Train bleu , train noir « .Il me tarde donc de m’y plonger dedans, ce sera fait courant décembre je pense, et promis je te dirai ce que j’en aurai pensé. En tout cas, encore bravo pour cette analyse pertinente! Amitiés.

    • Merci pour les compliments…C’est trop!!! En fait, j’aime bien ce livre, ça c’est un fait. Si je trouve qu’il est très bien écrit, je trouve aussi que c’est un peu classique à ce niveau (ce n’est pas un défaut, ce sont juste mes préférences qui me poussent vers autre chose). J’essaie toujours, comme je le dis à chaque fois, de distinguer ce qui me plaît de ce que j’aime: pour moi, ce n’est pas la même chose. Enfin, ce « Franco… » mérite qu’on s’y arrête. Sans problème
      Amitiés en retour

  2. Distinguer « Ce qui me plaît » de ce « que j’aime » , c’est trop intello pour moi,
    j’ai du mal à aimer quelque chose qui ne me plaît pas et quand j’aime quelque chose ou quelqu’un, ben ça me plaît pas qu’un peu mais beaucoup. Sinon, ,j’ai bien aimé ce billet, qui à une petite phrase prés me plaît bien et m’a donné envie de lire ce livre.

    • Bonjour et merci pour la visite. Disons que la distinction que je fais, c’est comme « bien aimer » et « aimer », tout court. Je peux apprécier quelque chose sans que ça me fasse vraiment l’effet d’une claque. C’est juste une nuance. Et si moi non plus, je ne peux pas aimer quelque chose qui ne me plaît pas, je n’aime pas forcément quelque chose qui me plaît. Et, effectivement, ce qui compte, ici, c’est votre conclusion: avoir envie de lire ce livre!!!

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